La route qui m'a coupée le souffle, au sens propre comme au figuré...
L'idée
Voici ma carte du Kyrgyzstan.
A priori, je suis partie pour un tour du lac Issyk Kul par la route rouge sur la carte en passant par le sud.
Mais en étudiant de plus près la chose, je vois cette route jaune qui part plein sud dans les montagnes au niveau de Barskoon et enchaînent les cols et les plateaux pour revenir sur Karakol. Elle me fait du gringue cette route... On voit presque apparaître les paysages grandioses derrière le calque de la carte! Elle me fait peur aussi... Pédaler à 4000 c'est pas la même et on devine également la piste, le froid, la neige, la boue et les animaux sauvages dans cette topographie !
Allez je me lance, au moins jusqu'aux lacs et puis on verra bien jusqu'où ça me mène !
L'ascension
Warnings & Blessings
Pendant ma pause aux cascades, les Kirghizes locaux ont eu le temps de me mettre en garde contre les loups. Apparemment, il ne faut pas camper seul là-haut, c'est trop "risqué", ils pourraient me voir comme une proie devenue facile et attaquer. On en entend souvent des avertissements du genre dans les récits de voyage, mais si d'autres disent que c'est n'importe quoi et qu'ils ont peut-être raison, moi j'ai trop peur pour tenter l'expérience! J'ai presque couru devant le grizzli au Yellowstone. Not brave enough in front of animals... Mais c'est pas grave, je trouverai bien une yourte à côté de laquelle bivouaquer.
Sur la route, plusieurs panneaux mettent en garde sur la difficulté de cette voie et du passage montagneux. Ils appellent cela le "Komtor Pass", du nom de la mine d'or située plus haut. Elle est détenue et gérée par une entreprise canadienne et fait débat dans la Barskoon Valley du fait de la pollution qu'elle engendre... C'est en tout cas en raison de la mine que la piste est un vrai billard, même à ces altitudes. Elle est maintenue ouverte toute l'année et c'est un défilé d'énormes camions en tout genre qui me doublent... Sur ma carte, le premier col est référencé comme le col de Barskoon, "Barskoon Ashuusu", à 3819m puis vient le "Söök Ashuusu" à 4024m.
La veille de partir je rencontre un tchèque, qui est à vélo lui aussi, mais en mode plus léger et tout terrain, il dort en Guesthouse. Ça le fait tellement marrer que je veuille tenter ce col avec ma bicyclette à la "old shcool dégaine" qu'il la prend en photo!
C'est Darty mon kiki!
Après ces paroles rassurantes et ces encouragements, je mets le premier coup de pédale dans la montée le matin du mardi 20 août. Pas de grand bleu mais pas de pluie, le soleil est juste derrière les nuages. Je chemine sur la piste magnifique et j'atteins le pied du col rapidement. Un poste militaire est là pour contrôler les véhicules car c'est un ancien passage vers la Chine, fermé à présent, mais donc une zone frontalière sous surveillance. L'agent qui est là parle très bien anglais et me donne pas mal d'infos, en plus d'un café. Il m'indique notamment les emplacements des campements sur le plateau. Son opinion sur les loups c'est : "Improbable mais tout peut arriver à ces altitudes alors mieux vaut être prudent : dors avec les bergers." Il me dit aussi que la route vers l'est pour Karakol nécessite un laisser-passer en raison de la frontière et qu'il ne connaît pas l'état actuel de la piste vers l'ouest pour Naryn. A Kara-Say, 50km plus au sud où la route bifurque, il y a un autre poste frontière où ils pourront me donner plus d'informations sur cette piste.
Et je monte, je monte, je monte... Je n'en finis plus de monter! À ce stade n'importe quel engin qui me dépasse ou me croise m'encourage avec force klaxons et signes de mains. Je suis la seule sans moteur mais pour l'instant les mollets font encore l'affaire. Premier stade, 3400m.
Je me dis que le plus dur est fait et j'ai tord. Les derniers mètres de dénivelé et les 6,5km à 12% vont épuiser toute énergie restante dans mes cellules... Il commence à cailler. Les nuages m'entourent et bouchent la vue. Je sors les couches : doudoune & moufles. Je suppose que l'effet altitude et la raréfaction de l'oxygène joue aussi son rôle et je pose pied à terre. Je commence à pousser mon vélo dans les passages trop raides de virage en gémissant. Je reprends contenance et fait semblant que "tout baigne" à l'approche d'autres êtres vivants.
Une voiture s'arrête à mon côté, à son bord des touristes Néo-zélandais - complétement fan de ma performance - me filent des snickers et me donnent rendez-vous en haut. Merveilleux coup de boost dont j'avais besoin!
Ça y est, j'y suis! 3819m avec mon vélo! 1700m de dénivelé en 30km!
Je suis surcuite.
Mais les Néos m'attendent! Inauguration de mon premier col en même temps que leur gazinière pour m'offrir un vrai café! Ils sont tellement gentils : ils me disent "respect" une tonne de fois, remplissent ma gourde, m'indiquent les yourtes qu'ils ont repéré et m'offre un de leur sachet de vrai café moulu. Je les aime ♥
Je m'avance sur le plateau. C'est roulant maintenant. Les nuages s'ouvrent.
Et je pleure de joie devant l'immense et hallucinant panorama qui s'offre à moi!
Ok la fatigue, le stress et le manque d'oxygène doivent aussi y être pour quelque chose...
N'empêche cette route est à couper le souffle!
La nuit
Je suis la piste toute plate qui s'étale entre les deux chaînes montagneuses et m'arrête toutes les trente secondes pour prendre des photos. Je garde l'oeil affûté pour repérer les cabanes de bergers. J'en vois une, quelques centaines de mètres de tout terrain encore pour y accéder. Un peu en hauteur, je les vois, ces deux cavaliers ramener le troupeau de moutons autour de leur campement, yourte & cabane. Ils finissent leur journée en même temps que moi.
Ils me voient débarquer sans trop comprendre, je crois, d'où je sors et ce que je fais là... Salam! Après ce seul mot kirghize, je leur tends mon portable - Google translate hors connexion je vous l'ai dit est mon nouveau meilleur ami - pour leur demander si je peux planter ma tente près de chez eux. Acquiescement. Great!
Le vent s'est levé et il fait presque aussi froid qu'au col de Chabanis un jour de Burle! Je monte la tente, professionnelle, sous leurs regards. Je plante, sans sourciller, mes bouts de bois taillés qui remplacent une partie de mes sardines car le Dour Festival est passé par là... Je rentre les sacoches, j'installe matelas et duvet, et là je me dis que ça va être technique de faire à manger sans mettre le feu à la tente. Je prends la bouffe, le gaz et la popote et je vais toquer chez eux. Acquiescement. Great!
Ils me laisseront plus repartir, arguant que je vais mourir de froid dans ma guitoune battue par les vents. Je me laisse faire, bien trop contente d'être dans leur cabanon surchauffé par le poêle qui tourne à fond aux briques de tourbe. Animation : une partie de la famille débarque pour emporter 10 moutons (ça vaut 100$ si vous voulez tout savoir). Je discute avec le frère qui me donne son téléphone et me dit de l'appeler absolument quand je redescends au lac et passe par son village.
Je dors bien! Le fils se lève plusieurs fois dans la nuit aux aboiements des chiens. Les loups ? Je n'en sais rien mais ne regrette pas d'être à l'abri ! Au petit matin, c'est une vue somptueuse du soleil levant sur les montagnes, du thé chaud, du pain et de la confiture maison. Eux aussi je les aime ♥
4028m et des rencontres
Les 300m de dénivelé pour le second col me paraissent lutinogènes maintenant! Je quitte le chemin de la mine : la piste est un peu plus aléatoire mais surtout, il n'y a plus âme qui vive. Je suis seule dans l'immensité. Impression de liberté & de vide. Le paysage est toujours absolument renversant.
Rencontre au col
Ah si! Il y a quelqu'un ! Un petit camion qui fume, mais vraiment du tonnerre, me dépasse un peu avant le col. Et il m'attend 10 min là-haut pour me congratuler à l'arrivée! Il me montre la plaque indiquant l'altitude et me prends volontiers en photo. Seul témoin - il n'en fallait qu'un - mais très enthousiaste, de mon petit exploit!
Et c'est la looongue et grandiose descente aux seuls sifflements du vent et des marmottes.
Rencontre Vodka
Alors que je suis en train d'enfiler un bas supplémentaire, un autre camion déboule et s'arrête. Quatre Kirghizes, pas très frais, qui ne veulent absolument pas me laisser continuer à vélo. Ils embarquent le tout et s'ensuit une petite heure de conversation enfumée - c'est clope sur clope de leur côté - d'un mélange Google/kirghize/anglais dans cette petite boîte lancée à toute allure sur la piste.
Arrêt.
Toast vodka à notre rencontre. Mon premier. Et on lance la bouteille dans cette belle nature, qu'on vient pourtant d'acclamer, et pourquoi non?
Rencontre militaire
Nous voilà à Kara-Say. C'est trois maisons et des barbelés. C'est vraiment un poste frontière. Aucun des militaires ne parlent vraiment anglais, ils sont gentils quand même, me disent que la piste pour Naryn est coupée en raison de la neige et que c'est interdit de l'autre côté : border area with China, il faut un laisser-passer. De toute façon, je ne pense pas que ça passe ni d'un côté ni de l'autre à vélo et je m'attendais assez à cet accueil. Je suis déjà très contente d'être arrivée jusque là et d'avoir osé ce qui était déjà pour moi une aventure.
J'ai juste pas trop d'énergie pour les 30km puis l'interminable remontée. Un petit camion?
Rencontre utile
Merveilleux, un petit camion! Quatre Kirghizes de nouveau, des militaires. Ceux-là tombent vraiment très bien et je les utilise un peu, je leur donnerai pas un sou. Mais sans scrupule parce que le petit jeune à l'arrière à côté de moi est plutôt du genre lourdaud et tactile sur la fin. Je suis obligée de lui faire ranger ses mains et fait mine de dormir. Ce ride a l'avantage de me faire redescendre en 2h jusqu'à Barskoon, au bord du lac.
Rencontre partage
Ak-Terek, le village du frère de mes hôtes-bergers d'hier est à 10km. J'envoie un message, il me rappelle, l'invitation tient toujours!
Je glisse ainsi un œil chez l'habitant, au revenu moyen je pense, peut-être un peu plus. Il est fermier, elle travaille dans la fonction publique. La maison semble grande, mais on mange et on cuisine à l'extérieur. Pas de douche, ni d'eau courante. Petit cabinet de toilette à l'extérieur aussi qu'on rempli à la bouilloire. Les WC c'est la cabane au fond du jardin, quelques planches de bois colorées au dessus d'un trou qui est très loin de sentir la rose. On enterre aussi ses déchets.
Je passe vraiment une très bonne soirée en compagnie d'Ernes donc, et de Jazgul sa femme! Je rencontre aussi les enfants, il y en a 5 en tout, et la grand-mère. Le couple a 35 ans, quelques mots d'anglais en poche mais surtout très envie de communiquer et du coup c'est un vrai échange de 18 à 22h sur nos vies respectives, nos envies, nos pays.
Le lendemain je repars avec une bonne nuit de sommeil derrière moi, de chouettes souvenirs et un bon kilo de pommes et d'abricots. J'aime tout le monde ♥
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